Qui sont ces hommes, femmes et enfants qui sont descendus dans la rue, ce matin du mercredi 27 novembre ? Bamako. Ciel pommelé, et un soleil des moins agressifs qui commence à darder ses rayons. Il est 8 heures. Le parvis de la mairie du district est masqué par des grappes de marcheurs, jeunes et vieux, venus des différents quartiers de la capitale avec une seule et même aspiration : la marche. Des centaines de personnes. Il y a vraiment quelque chose de réconfortant à voir tant de monde, ensemble pour une même cause. On se dit que la démocratie est belle, et grande aussi, car elle offre au citoyen ce luxe rare, et presque inexistant sous d’autres latitudes, de se lancer dans la rue pour se prononcer, dire son mot.
On se dit encore une fois que, dans ce pays, il ne reviendra plus le temps d’un régime monolithique qui met le peuple au pas. Dans la mémoire collective, 1991 bouillonne encore. Chacun porte en lui le Mali à feu et à sang, ce duel sans merci entre un dictateur psychopathique et son peuple déchaîné. C’est au prix d’insoutenables violences que la démocratie a été obtenue dans ce pays. Vingt ans plus tard, la démocratie est toujours là, mais, allez savoir pourquoi, rien n’a changé dans l’étalage insolent de la corruption, du chômage, du népotisme. Rien. Au contraire. La Kleptocratie est montée en force.
La marche. Revenons-y. Nombreuses banderoles. « A bas la politique de soutien de la France au MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad)», « Quel Azawad ? Bandes armées », « A bas l’armée française au nord du Mali », « Kidal n’est pas un département de la France, mais une région du Mali », « pourquoi deux armées sur un même territoire ????? », … Des cœurs gonflés de sentiment nationaliste. Des phrases a priori gallophobes. Et quid des slogans criés, jetés ?« MNLA= à la France », « L’armée malienne à Kidal », « Mali, Un et Indivisible », « Libérez Kidal », « Le Mali ou la mort ».
Nombreux marcheurs. Des auditeurs de radio, des syndicalistes, des associations, qui ont décidé de marcher pour :
« Sensibiliser les Maliens pour un sursaut national. Certes, nous avons reçu de l’aide des amis, mais il ne faut pas que ces amis se substituent trop à nous. La France, par exemple, est en train de trop faire par rapport à l’aide, au point qu’on doute de son désintéressement. » Ainsi parlait le mathématicien Aboubacrine Assadek, du réseau Handi actions développement et perspectives (RHADP)
Que répondre à cette femme, haletante de colère, qui m’ordonne presque de l’écouter, elle aussi, pour qu’elle déverse dans mon dictaphone tout ce qui lui perce le cœur ? Ecoutons là :
« Je suis animatrice de radio depuis bientôt 17 ans. On n’a jamais été d’accord avec IBK, et les raisons de notre rejet sont bien là aujourd’hui. C’est le « IBK d’abord » et non « le Mali d’abord » ! Il ne fait que ce que bon lui semble. Les mêmes personnes qui ont déserté l’Assemblée nationale, violé nos femmes, tué nos enfants (les soldats), ont été candidats aux législatives pour le RPM (parti de IBK), et ont gagné au premier tour dans leur circonscription. Ils siègeront à l’Assemblée nationale, continueront encore de parler d’Azawad. C’est la France qui est à la base de tout ça. Mais, celui qui nous dirige, aussi, est à questionner. Tant qu’on ne dit pas la vérité à IBK, il ne servira pas à grand-chose de le dire à la France. »
Explosion de passions. Emportement. Et indignation.
La grande voie qui quitte la mairie du district pour passer par le boulevard de l’indépendance vibre de chahuts. Une marée humaine marche, encadrée par un important dispositif de policiers et de gendarmes. Les banderoles déferlent, les slogans fusent. Mais il est difficile d’avoir l’esprit tranquille. Il y a la crainte d’être victime d’un larcin. Ces pickpockets qui ne sont jamais loin, veillent au grain, guettent comme des chats. Il y a aussi les voyeurs du haut de leu villa. Certains manifestent leur solidarité. Ils lèvent les deux poings en l’air et entonnent les mêmes slogans. D’autres désapprouvent et regardent la foule de travers. Il y a enfin les confrères qui flashent, interrogent causent…énervent.
Il est 11 heures, presque. La marche arrive au boulevard de l’Indépendance. Cette même place où, il y a seulement 8 à 9 mois, des centaines de Maliennes et Maliens ont accueilli, remercié, vénéré François Hollande, aux cris de Vive la France ! La France qui avait lancé l’opération Serval pour éviter au Mali de passer sous le contrôle des faussaires de la foi que sont Aqmi, Mujao et Ansar Dine. Aujourd’hui, la situation n’est plus la même. Avec des faces de carême, ces mêmes Maliens ont remplacé « Vive! »par « A bas la France ». Comme quoi le « Vive » devient toujours « A bas! » La place de l’indépendance, lieu symbolique, choisie par les marcheurs pour lire leur communique dans lequel la France, le MNLA et la Minusma ont été mis dans le même sac, attifés des mêmes reproches.
Le soleil tape. Un étrange moment d’épuisement, inondé du sentiment de fierté d’avoir tenu jusqu’au point d’arrivée: le boulevard de l’Indépendance. Rester se fait pesant, il faut partir. Non sans dire que les Maliens, je ne plaisante pas, ont … enfin …compris qu’il est temps de se dégager de la résignation, du fatalisme. Et que démocratie ne rime pas avec passivité.
Aqmi : Al-Qaïda au Maghreb islamique
Mujao : Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest
Minusma : Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali
Boubacar Sangare