Après-midi ensoleillé. Début du ramadan, La famille Coulibaly s’apprête à mettre sous terre un de ses fils. Dans la famille, dans la rue, pas de pleurs, pas de cris de colère. Les visages ne sont pas tendus, aucune bâche n’est dressée pour accueillir les voisins et amis qui viendront faire des bénédictions… Rien, absolument rien, de ce qui indique qu’un décès est survenu. Seule pleure Awa, la sœur du disparu.
La tombe est prête, le corps est déjà enseveli. Il n’y a pas foule, quelques jeunes du quartier et pas plus de trois vieillards, dont le père du défunt. Il n’a pas reçu la prière des morts. Personne ne priera sur lui, personne, car il n’a jamais posé son front contre la terre pour prier Allah. Il n’est pas musulman. Voilà pourquoi ni l’imam, ni les fidèles de la mosquée ne sont venus.
Son petit frère Salif et un ami discutent ferme :
« C’est ce qui est bien pour les gens comme lui qui ne sont pas sincères avec la prière! », dit Salif.
On l’appelait Wara (le lion), sobriquet qu’il s’était lui-même donné. C’était un soulard confirmé, indécrottable. Chaque soir, il buvait comme un trou, urinait et chiait dans son froc, venait s’arrêter devant la famille pour divaguer, proférer des insanités. Il était connu pour être un « Esprit rebelle », avait juré de ne jamais se courber pour prier. Il ne répondait jamais à un « assalamalek« . Pour son père, un homme parmi les fidèles respectés et respectables du quartier, pour toute la famille, Wara est une salissure, une honte pour leur nom.
Au cimetière, un silence abyssal règne sur la foule. On a du mal à en croire nos yeux et nos oreilles. Le corps de Wara a été descendu dans la tombe, ensuite couvert de boue. Aucune prière n’a été récitée. Wara n’est pas musulman, il ne le mérite pas. Les visages ont commencé à être serrés, les cœurs meurtris. Wara a été enterré comme un inconnu, un malpropre, un impie, un mécréant.
Quelques instants plus tard, son père s’est adressé aux jeunes qui étaient là :
« Il n’a eu que ce qu’il mérite. N’est pas musulman qui ne prie pas ! Voilà le sort qui attend ceux parmi vous qui ont relégué la religion au second plan. Wara n’a jamais prié, et donc on ne priera pas sur lui. Vous êtes tous avertis… »
Hochements de tête, yeux obscurcis par la colère, sourires d’incrédulité, qui mutent en sensation de dégoût, dégoût de la vie et de tout ce qui la compose. Dégoût d’être un homme, un fils d’Adam qui sera un jour ou un autre mangé par la mort, et qu’on enterrera selon qu’il est musulman, chrétien ou pas. Wara a vécu et est mort pour rien !
Un ami de Wara, indigné, n’a pas hésité à exprimer son désaccord.
« Si Wara était riche, il ne serait pas enterré comme un chien ! Même l’imam serait là sans se faire prier. »
Boubacar Sangaré