L’avenir appartient à la jeunesse. L’avenir d’un pays repose sur sa jeunesse. Il est fréquent d’entendre ce discours en politique, dans les débats, dans les amphis à l’université… Ces beaux discours provoquent presque toujours, un tonnerre d’applaudissements dans les rangs des premiers concernés, les jeunes, et une onde d’espoir chez leurs parents inquiets.
Pourtant, ces phrases sonnent comme une ritournelle publicitaire destinée à frapper l’attention. Des mots sans volonté politique.
Ce discours, je l’écoute toujours avec intérêt, même si pour moi comme pour beaucoup d’autres, il est l’emblème d’une hypocrisie qui ne dit pas son nom. C’est-à-dire que ceux qui le tiennent n’y croient pas eux-mêmes, ou plutôt, dissimulent sous ces paroles leur cupidité, leur incompétence. Ce n’est pas qu’ils ignorent la portée de ce qu’ils disent, non, non ! Ils savent au contraire que partout dans le monde la jeunesse est devenue une véritable industrie dans laquelle il faut investir pour assurer le futur, ils savent que la jeunesse peut faire tout (…), ils savent qu’un pays qui ne respecte pas sa jeunesse n’avance pas et donc se condamne à la régression, ils savent que dans toute vie la jeunesse est un carrefour, un virage qu’il faut savoir négocier au risque de tout faire capoter. La jeunesse, c’est une longue saison, une nuit constellée de rêves, un palier intermédiaire entre l’enfance et la vieillesse dont la traversée est un rien délicate.
Être jeune est dur. Le plus dur est d’être jeune dans un pays où tous les ingrédients sont réunis pour conduire la jeunesse dans l’impasse, où la jeunesse est considérée comme un cas désespéré. Dans son livre « L’Afrique en procès d’elle-même », Koro Traoré écrit :
« Plus de cinquante ans après les indépendances de la plupart des pays d’Afrique, le système éducatif ne s’est toujours pas adapté aux réalités du monde et à l’évolution des sociétés africaines.
L’enseignement élémentaire reste un luxe pour la majorité. Et l’enseignement supérieur ne forme en grande partie que des diplômés sans emploi, incapables d’entreprendre ou de s’insérer dans la vie active dès qu’ils quittent leur formation. Malheureusement, dans un tel contexte, l’enseignement professionnel et technique qui devrait être privilégié demeure le parent pauvre du système éducatif africain. »
Ce constat qui colle fort bien à ce qui se passe au Mali n’est pas fait par n’importe qui. C’est celui d’un ancien chargé de mission à la présidence de la République malienne, et au cabinet du premier ministre.
Je suis jeune et à l’université mes profs me disent de marcher la tête haute, d’être fier de mon pays qui me donne une bourse, les paye pour qu’ils m’enseignent… et qu’au temps où, eux, ils étaient à la fac, c’était différent, il n’y avait pas de bourses, il n’y avait pas Internet. Pour moi, ils commettent cette folie qu’ont les vieilles personnes de ramener tout à leur époque et à leur personne. Université livrée au chaos, la corruption et le pillage concerté des deniers publics sont devenus des institutions, le mensonge est devenu une langue officielle, les discours sont plus importants que les actes, chômage désespérant, diplômes qui s’achètent…
Avec une jeunesse qui représente 65 % de la population (des jeunes de moins de 25 ans), mon pays est classé 182e sur 187 dans l’indice de développement humain du PNUD ( en 2012). Une société sans cœur. Une société hypocrite qui évoque la bravoure, la droiture, le patriotisme de Soundiata, Samory alors qu’elle est dans un gouffre taillé par elle-même du fait de l’inconscience, l’incompétence de ses propres enfants. Quelle société sans cœur ! Société qui a fait de sa jeunesse une quantité négligeable, en lui disant qu’elle est incapable, ignorante, qu’elle n’est rien, n’a rien, ne peut rien, ne sait rien. Ici, n’en déplaise à quelques ânes qui ne voient pas le bout de leur propre nez, nos dirigeants ont cultivé le mépris pour la jeunesse, faisant d’elle un ennemi qu’il faut contrôler en lui jetant en pâture des promesses, des discours, des billets de francs Cfa. Une jeunesse pour laquelle les voyous, les salopards et salonnards sont devenus des archétypes. Jeunesse à laquelle on a fait croire que le piston est plus important que le droit ou qu’avoir « des relations dans les services publics » est plus important que les diplômes. Jeunesse aujourd’hui convaincue que l’excellence et la médiocrité se valent, que le vol, la triche sont naturels. Une société sans cœur.
A la fac, pour mes profs, je ne suis pas un étudiant comme les autres, comme on en trouve plein à la Sorbonne, à Harvard, à Oxford. Non, non, je suis un étudiant à part, dans un monde à part, un étudiant pas fichu de faire le moindre raisonnement cohérent sur la situation sociale, politique et économique de son pays, qui en sait plus sur la ville de Paris que sur Tombouctou ou Kidal, à qui on recommande la lecture de Kafka, Dos Pessos, Hemingway alors qu’il ignore fichtrement qui est Yambo Ouologuem, Aïda Mady Diallo, Pascal Baba Coulibaly, Massa Makan Diabaté, Ismaïla Samba Traoré… Oui, je sais, nul n’est prophète en son pays. No man is a prophet in his own country. Et comprenez bien, je n’ai pas été contaminé par le virus du « localisme ».
La seule alternative, c’est de partir.. Fuir ce pays qui ressemble au « poisson qui pourrit toujours par la tête », le laisser aux mains d’incapables et d’incompétents. Mais, n’y a-t-il pas une autre explication, plus insupportable ?
Ces incompétents, ces incapables savent parfaitement que cette jeunesse est un atout, une chance qu’il ne faut pas négliger. Ils misent sur la jeunesse, mais pas toute la jeunesse. Ils misent sur leurs propres enfants. Ils leur réservent toutes les chances. Ils veulent que ce soit eux qui dirigent le pays quand eux-mêmes auront quitté la scène politique, économique … Les rênes du pays doivent rester entre les mains des mêmes. Il faut continuer à « assassiner l’espoir (1)» en sacrifiant la jeunesse, la méprisant, ne lui parlant que pour formuler des promesses en matière d’emploi et de création d’entreprises.
Et après, on se demande pourquoi la plupart des boursiers envoyés à l’étranger choisissent de ne pas revenir ? C’est parce qu’ils veulent être respectés, éviter cette humiliation qui veut qu’on ne réussisse que grâce au piston. La jeunesse est à nos dirigeants ce qu’étaient Goriot, Vautrin…à Paris dans Le père Goriot. C’est-à-dire des êtres qui ne disent rien à personne. Tant pis pour quelques « inféodés » qui penseront que je raisonne comme une pantoufle. Moi, je ne peux plus résister à cette nauséeuse angoisse de vivre dans un pays qui a renoncé à t’aimer depuis longtemps, où il n’y a que des loups. Partout des loups. Pessimisme ambiant. Béni-non-non je suis. Béni-non-non je reste.
(1) Mali, ils ont assassiné l’espoir, Moussa Konaté, ed L’Harmattan
Boubacar Sangaré