Il est 10 heures, ce mardi 4 mars, lorsque je franchis le seuil de la cour de la Direction régionale de la protection civile, sise à Sogoniko (un quartier de Bamako). C’est une cour immense, qui, depuis plus d’un mois, fait office de gîte pour ces Maliens ayant fui la Centrafrique, devenue l’un des points chauds du continent. A l’ouest, des bâches servent de refuges de fortune à ces hommes, femmes et enfants. Elles les abritent du soleil aussi, car le soleil est en train de venir. La chaleur aussi. Les bagages sont éparpillés çà et là, dans l’indifférence générale. Ils sont assis, qui sur une natte, qui sur une chaise, promenant un regard abattu sur l’atmosphère ambiante. D’autres sont hagards.
« J’étais commerçant à Bouguera, une ville située à 200 km de Bangui. Les anti-balaka ont attaqué la ville à 3 h du matin, tuant plus de 100 personnes parmi les Arabes tchadiens et les Peuhls, tous musulmans. Ils ont mis le feu aux maisons, aux mosquées. Ils ne touchaient pas aux Maliens parce que nous, nous ne sommes jamais impliqués dans la politique. Mais quand la situation s’est davantage détériorée, ils ont commencé à nous menacer de mort aussi, nous les Maliens. ».
Ces propos ne sont pas extraits d’un polar publié dans la collection Série noire de Gallimard. Ce sont ceux de Seyba Konaté, un Malien vivant en RCA depuis 1999. Il a tout abandonné pour rentrer au bercail.
Depuis bientôt un an, la Centrafrique a regagné son rang de nation instable, avec la déposition de François Bozizé par les rebelles de la coalition Seleka, sous la direction de Michel Djotodia. Le 10 janvier 2014, Djotodia, ne contrôlant plus rien ni personne, démissionne de son poste de président. Le 23 janvier 2014, Catherine Samba Panza devient le chef d’Etat de la Transition. Les Centrafricains sont cependant loin de voir le bout du tunnel. Les violences font encore rage, malgré les efforts immenses déployés par les forces de l’opération Sangaris et de la Misca, pour désarmer les milices anti-balaka et les « électrons libres » de l’ex-Seleka. Ne parlons pas de l’armée centrafricaine, qu’on pourrait qualifier de mexicaine, comme on disait au début du XXe siècle, tant elle est désorganisée et inefficace. La RCA a basculé dans une guerre civile et confessionnelle, qui met en péril, voire déchire le tissu social.
Né d’un père malien et d’une mère centrafricaine en RCA où il a pris femme et a eu 4 enfants, Soumaïla Diarra ne passe pas par quatre chemins quand on lui demande ce qu’il pense de la crise :
« C’est une guerre de l’ignorance, et non de religion entre chrétiens et musulmans. »
Une guerre de l’ignorance. C’en est peut-être une. Mais on ne peut pas ne pas dire que c’est là un des points de vue qu’on émet dans les moments d’incertitude, d’impossibilité. Impossibilité à donner ou à trouver meilleure explication. Impossibilité à en croire ses yeux et ses oreilles. Alors vient le temps de poser la fameuse question léniniste : « Que faire ? ». Que faire pour sauver la RCA du déshonneur, de l’incertitude ? Pour arrêter la machine infernale de la violence ?
Ceux qui ont quitté la RCA l’ont fait faute d’autre choix. Partir, c’est une solution, même si d’autres pensent que le départ est un aveu d’échec…
Aïchétou a 27 ans. Teint clair, cheveux gominés, elle est née en RCA de parents sarakolés. Elle n’a pas été à l’école. Elle y faisait du petit commerce. Elle dit avoir perdu tous ses biens.
« Je suis venu au Mali à cause de la guerre. Je remercie beaucoup le gouvernement malien pour ce qu’il a fait pour nous. Non, je n’ai plus envie de retourner en RCA. Je n’ai plus rien là bas » , dit-elle en lançant un regard ému vers sa maman qui partage un plat avec 3 petites filles.
A ce jour, quatre convois de Maliens ont été acheminés vers le Mali. Dans ces convois se trouvaient également des Centrafricains qui n’ont pas hésité à sauter dans le premier avion pour s’éloigner de l’enfer.
Ces Centrafricains qui se sont retrouvés au Mali
Adossé à un véhicule de la protection civile, MBringa Cherubin, Banguissois, se fait photographier par son compatriote, Isaï Sylver. Ils sont Centrafricains, chrétiens. Ils préfèrent laisser la parole à Lewis Sambia :
« J’ai quitté la RCA parce qu’il y a une crise. Bien que je sois chrétien, je n’étais même pas menacé là où j’étais à Bangui. Je ne voulais pas être dans un parti pris, m’aligner derrière les chrétiens. Mais comme ma vie commençait à être menacée par les musulmans, le mieux c’était de quitter. Je ne suis ni pour les chrétiens ni pour les musulmans. Si la RCA retrouve la stabilité, je vais y retourner. J’ai mes parents là-bas, d’autres ont été tués dans les évènements. La maison de mon père a aussi été incendiée.
J’étais étudiant en génie civil, 2e année. Je voulais devenir ingénieur. Je veux continuer dans la même filière au Mali. On est encore sous couvert du HCR (Haut commissariat des Nations unies aux réfugiés), et on cherche le statut de réfugié. Pour arriver ici, ça n’a pas été facile, on a même pris des noms maliens. »
A l’inverse de Lewis, Nzas Nakaba Abdelaziz, musulman, lui, préfère pousser un coup de gueule :
« Nous vivons dans une situation très pénible, nous ne sommes pas nourris, protégés. Nous nous soignons nous-mêmes. Quand on va à l’infirmerie, on nous donne une ordonnance tout en sachant qu’on n’a pas un rond. On ne reçoit vraiment pas le traitement dû aux réfugiés. Les gens du HCR viennent, nous rendent visite, nous enregistrent, nous disent d’attendre les statuts. Mais on va attendre ça jusqu’à quand ? C’est pourquoi je tiens à dire aux organismes internationaux et aux opinions publiques de jeter un œil sur nous, parce que nous souffrons. La situation est vraiment difficile. »
Johnny Vianney Bissankonou, ils le connaissent très bien. Ils étaient des auditeurs inconditionnels de son émission Mossekatitude, qui parle, à les en croire, de la jeunesse. « Johnny, c’est vraiment un gars instruit quoi ! », lâche Lewis Sambia.
Un an de violences meurtrières, c’est tout sauf rien. Comment faire entendre raison à ces Centrafricains, jeunes, qui s’entretuent au nom de la religion ? Comment leur faire comprendre que la guerre ne se nourrit que d’hommes, sinon rien d’autre ? La seule certitude, c’est que tous les citoyens centrafricains ne pourront pas partir…D’où la nécessité de constater qu’en RCA, c’est tout le monde qui a échoué. C’est ce qui permettra de repartir.
Boubacar SANGARE