On sait que le Mali s’est résigné au souhait de nombre de ses partenaires internationaux qui est d’organiser des élections qui donneront au pays des dirigeants légitimes. On sait aussi que le gouvernement de transition travaille à l’organisation de ces élections qui ne suscitent pas beaucoup d’intérêts pour la presse locale, tant il est vrai que la guerre contre les terro-jihadistes au Nord du pays occupe toutes les attentions.
Mais, on sait autre chose. En voyant la fierté soutenue avec laquelle les caciques carriéristes de la planète politique se déclarent candidats, il faut se dépêcher de crier à l’insondable. Cette ruée vers les élections, au vrai, traduit une propension des formations politiques et de « leurs hommes graves » à vouloir tourner une page sombre qui appelle pourtant un éclairage direct pour que le malien puisse accéder à davantage de vérités sur les raisons qui ont précipité le pays dans le gouffre. Pour être simple, il faut dire que la situation dans laquelle nous vivons est, encore une fois, la démonstration qu’au Mali la démocratie n’était qu’une forme sans contenue. Et s’il y a une réalité que nombre de pays d’Afrique, au sud du Sahara, ont en commun c’est que les populations se sont accommodés d’une démocratie bloquée, qui a du plomb dans l’aile et les maintient dans une forme d’esclavage qui ne dit pas son nom. Sans avoir la prétention de dresser un bilan de la pratique de la démocratie dans ce pays, le moins que l’on puisse dire c’est que tous les écueils d’une telle démarche politique étaient réunis : corruption qui s’est taillée une place dans les mœurs, népotisme, favoritisme… A cela vient s’ajouter le fait que l’imbécilité et les saloperies sont devenues une norme dans l’administration publique, où les usagers sont présentés comme des dérangeurs qui sont indignes d’une once d’estime et qui n’ont droit qu’à un mépris masqué mais réel. L’arrivisme et le « pourquoi pas moi ? » (Il a volé pour réussir, pourquoi pas moi ?) ont eu le nombre de leurs adeptes grossi et sont vus comme les clés de l’ascension sociale. Résultat : partout, les premiers et les méritants sont les derniers. Tout passe par le piston.
Beaucoup de pays connaissent bien ces phénomènes néfastes, qui y ont joué un rôle critique dans le déclenchement d’une guerre civile. Comme ce qu’a connu l’Algérie, et que les Algériens refusent d’appeler « une guerre civiles » mais préfèrent plutôt parler « de décennie noire », « année du terrorisme » ou « guerre contre les civils » (1). Tout cela pour insinuer que le Mali est toujours une eau trouble qui est loin de se calmer : colère après les régimes précédents et leur clientèle rampante, étalage insolent du chômage, profonde dégradation de la santé économique… Un pays ankylosé. Et ce n’est en rien verser dans le catastrophisme que de dire que le pays n’est pas sauvé de l’embrasement.
Auprès de l’immense majorité des maliens, ceux qui votent compris, la démocratie n’est que du khorti, le mensonge. Ils ont tourné le dos à la politique pour se ruer vers le religieux, surtout islamique, faisant du coup des « hommes graves » de la planète politique des vils courtisans des leaders religieux qui, incontestablement, tiennent en laisse une grosse partie de l’opinion nationale. Et déjà des rumeurs affirment que les leaders religieux sont prêts à donner des consignes de vote pour les élections à venir.
L’urgence d’un printemps politique
La vérité, c’est que le Mali a besoin d’un renouveau, d’un printemps politique qui aura la vertu de donner au peuple d’autres visages, une autre race d’hommes politiques qui éviteront de tenir des discours où la démagogie coudoie la nullité. Un printemps politique, car il ne servira pas à grand-chose d’organiser des élections qui porteront au pouvoir les mêmes hommes. Et c’est là que résident les raisons de la crainte pour l’après élections si les mêmes têtes devraient revenir.
Mais, seul le peuple est arbitre. Au nombre de cet essaim d’ « hommes graves », le peuple sait qui est qui et qui a fait quoi, où, comment. Comme pour dire que le malien a son avenir entres ses mains. Quand même bien que les élections dans ce pays, comme dans beaucoup d’autres du continent, n’ont jamais été à l’abri de la fraude. C’est au peuple malien d’éteindre le feu de l’impatience d’écolier de tous « ces hommes graves » de se retrouver dans le logement de Koulouba.
Aussi faut-il se désoler de dire qu’en ces temps de démocratie intéressée, hélas, il ne serait pas étonnant de voir ces caciques carriéristes mobiliser la foule lors des campagnes électorales. En ces temps où la jeunesse n’a plus confiance dans la force du travail, le printemps politique n’aura pas lieu, car naïve qu’elle est, cette jeunesse va encore mourir dans les rets de ces mêmes démagogues qui ne se gêneront pas de faire de lui un bétail électoral, pour reprendre l’appellation courante. C’est là aussi que réside l’inconscience du malien.
(1) Un regard calme sur l’Algérie, Akram Belkaïd, ed SEUIL
Boubacar Sangaré